dimanche 28 août 2011

Rester

Je suis encore très secouée par la mort récente et inattendue de Jack Layton, trop, je crois, pour écrire cette semaine; j'aurais aimé pouvoir exprimer ce que je ressens de telle ou telle façon spirituelle, et je vais le faire bientôt, promis, cette expérience-ci en valant bien d'autres, dans le "temps" - la clé ici étant, "le temps", qui, seulement, peut guérir les blessures que l'histoire impose à ses témoins, tu peux me citer là-dessus. Mais pour l'instant je crois... que ce que j'ai à dire de plus honnête, présentement, c'est, a) le monde est tout ce dont on peut parler; b) dans le monde existent des gens qui nous donnent espoir; c) quand on a espoir le monde a un sens.

lundi 22 août 2011

Commencements pluriels

Ma connaissance de l'anthropologie est en grande partie épistémologique, sinon assez superficielle, mais je crois que les anthropologues ont abordé la question du langage bien avant la philosophie analytique; les horizons que les philosophes créditent généralement Kant d'avoir ouverts font de lui non pas le premier «philosophe du langage» mais plutôt, enfin selon moi, le premier anthropologue.

Emmanuel Kant, 1724-1804 (source de l'image: Wikipédia).

Il ne le formule pas ainsi, mais je pourrais résumer comme suit: le langage serait probablement apparu de manière graduelle (en cela il serait d'accord avec Josiane), pour des raisons pratiques ayant peu à voir avec une quelconque nécessité; il est en effet assez facile de comprendre comment, depuis les premières «sociétés» plus ou moins atomisées, les gens qui savaient communiquer entre eux avaient de plus grandes chances de survie que ceux qui n'appartenaient à aucune communauté.

«Parler», c'est toujours parler à quelqu'un, et parler la même langue, c'est se reconnaître une origine commune.

J'ai appris très tôt (peut-être même par toi, Josiane!) que dans énormément de cas les membres d'un groupe donné s'autodésignaient par un terme signifiant approximativement «hommes» (au sens «espèce humaine»), par opposition aux «étrangers» ne parlant pas la même langue et donc n'appartenant pas audit groupe.

(L'exemple le plus commun est bien sûr le péjoratif terme «barbare» qu'employaient les Grecs, puis les Romains, à tout individu ne parlant pas, respectivement, le grec et le latin, encore employé aujourd'hui un peu à toutes les sauces pour désigner une personne ne répondant pas aux critères de classe en vigueur dans x ou y contexte).

J'avoue avoir spontanément pensé qu'il aurait difficilement pu en être autremement - on se définit toujours par rapport à ce qui n'est pas soi.

Par ailleurs j'adore ton expression, «surdité sélective»; j'aurais envie de dire qu'on peut aussi observer dans certains cas un «mutisme sélectif»: refuser sciemment d'aborder une question, c'est lui donner de l'importance; refuser de parler de quelque chose, c'est encore une façon d'en parler (voir, Foucault, entre autres), de souligner par la négative l'importance de cette chose.

Michel Foucault, 1926-1984. L'un des auteurs en sciences humaines les plus cités (source de l'image: Wikipédia).

On ne «refuse» pas d'aborder un sujet qu'on ne «comprend pas» - il n'en est tout simplement «pas question». De même l'impératif «tais-toi!», l'incitation au silence ou au secret, ou encore l'omission volontaire de certains éléments culturels sont autant de «preuves» de la profondeur des implications de la parole.

Je me souviens d'avoir pour la toute première fois entrevu la fragilité des fondations des religions dites (haha!) révélées lorsque j'ai entendu ou lu la phrase, «Au commencement était le verbe», et imméditatement pensé, «belle pétition de principe!».

Même dans mon cerveau d'enfant de huit ans, cela n'avait aucun sens: si les mots précèdaient les choses, qu'en était-il des «choses» qui, au «commencement», n'existaient pas encore, par exemple, le train, ou la télévision? Est-ce que ces mots-là avaient, eux aussi, toujours existé?

La locomotive de Richard Trevithick en 1804, la première à fonctionner à la vapeur (source de l'image: Wikipédia).

Et les choses à venir, le «futur», comment se faisait-il qu'on ne le connaisse pas à l'avance? Existait-il donc deux sortes de mots, ceux qui avaient «toujours été là» (et encore, là, d'accord, mais «où», s'ils ne signifiaient rien pour personne?), et ceux que «nous» donnions aux «choses» que nous découvrions et inventions? Si on tire sur ce petit fil, toute l'étoffe se défait...

Source mentionnée:
FOUCAULT, Michel (1994). Histoire de la sexualité 1: La volonté de savoir. Paris, Gallimard, 248 p.


dimanche 21 août 2011

Parler du langage

Le langage. Par où commencer?

Par la différenciation amenée par Ferdinand de Saussure (1913) entre langage, langue et parole; cet emboîtement, où le premier contient le second qui contient le troisième, est devenu passablement célèbre?

D'un potentiel général (et commun à presque tous les êtres humains) de s'exprimer avec des signes, on passe à une actualisation diversifiée (selon les communautés) et à une appropriation personnelle du langage selon les contextes. Autrement dit: je peux parler le français (ma langue) parce que j'ai le cerveau et le système respiratoire nécessaires pour être capable de le faire (le langage) et j'ai ma propre façon de parler, mes expressions fétiches et mes tics (ma parole).

Ferdinand de Saussure (1857-1913), le célèbre linguiste suisse (source de l'image: Wikipédia).
Parler des théories plus récentes, alors? De grammaire générative et transformationnelle (cf. Chomsky notamment)? Cette théorie tente d'expliquer, si j'ai bien compris, comment les gens réussissent à pratiquer le langage, à travers leurs capacités cognitives, l'apprentissage d'une langue, mais aussi l'invention que suppose l'utilisation originale d'un code linguistique (autrement dit: nous ne sommes pas des perroquets!).

Noam Chomsky en 2004. C'est un linguiste et un activiste américain (source de l'image: Wikipédia).

Mais c'est encore bien théorique... Et j'avoue ne pas vouloir me mêler trop de choses que je ne maîtrise que très peu (peut-être Maripé a-t-elle des trucs plus intéressants à dire là-dessus?).

Parler des origines des langues (cf. la belle synthèse dans Les Cahiers de Science & vie, 2010)? Je me sens déjà un peu plus confortable, puisque c'est un sujet sur lequel j'ai quelque peu réfléchi... Par contre, je ne peux pas affirmer avoir une pensée très originale là-dessus.

Sinon que je préfère l'hypothèse voulant que le langage soit apparu de façon graduelle (et non de manière brusque avec les débuts de l'espèce Homo sapiens), que j'aime à penser que nos proches cousins les Néandertaliens le possédaient aussi (c'est presque du racisme de dire le contraire, toujours à mon avis), et que l'idée qu'il faut absolument un larynx bas (sous prétexte que c'est notre cas) est remise en question (j'aime bien ceux qui s'attaquent aux idées reçues, surtout en science!).

Le langage articulé ne fait malheureusement pas de nous des êtres meilleurs, différents, oui, mais pas vaccinés contre la bêtise (nous restons, malgré ce qu'on en dit, des animaux, donc, bêtes à s'entretuer et à en mourir).

Au-delà de la fascination qu'exerce le sujet du langage (probablement parce qu'il est souvent identifié comme une spécialité de l'être humain), il y a encore et toujours nos difficultés à nous exprimer et à nous faire comprendre. Et notre tendance à être «sourds» de façon sélective.


Sources mentionnées:

CHOMSKY, Noam (1969). Aspects of the Theory of Syntax. Cumberland (RI), The MIT Press, 251 p.

COHEN, Laurent (2011 (2009)). Pourquoi les chimpanzés en parlent pas: Et 30 autres questions sur le cerveau de l'homme. Paris, Odile Jacob, 255 p.

SAUSSURE, Ferdinand de (1995 (1913)). Cours de linguistique générale. Paris, Payot, 520 p.

«Les origines des langues», Les Cahiers de Science & vie, no 118 (août-sept. 2010), 114 p.


mardi 16 août 2011

Les mots et le sens

«Créolisation»: le terme à lui seul est assez fascinant. Je ne crois pas qu'il y ait un équivalent en anglais, mais le s'y concept s'applique très bien - je crois qu'on pourrait même dire que la langue anglaise s'est plus ou moins «construite» de cette façon, tout en néologismes, incorporant des mots aux autres langues, incorporant des nuances d'influences diverses.

Je me souviens avoir lu quelque part que Shakespeare, par exemple, inventait constamment de nouveaux mots, à partir de termes provenant du français, de l'italien, ou simplement du parler vernaculaire de son temps, termes qui sont depuis utilisés couramment et font partie du «lexique officiel» depuis maintenant des lustres.

William Shakespeare, le grand dramaturge (et "inventeur" de l'anglais) (source de l'image: Wikipédia).

Le procédé est universel - et on le retrouve aujourd'hui partout. Les sous et contre-cultures, qu'elles soient littéraires, musicales, ou artistiques, la mode, les mouvements sociaux et politiques (entre autres) génèrent de nouvelles formes de langages (patois, dialectes, expressions, références et contre-références), qui sont rapidement adoptées par une minorité faisant office de «code», par exemple le «street swag» dans la culture hip-hop, le «lolspeak» dans la cyberculture, ou les termes techniques propres à certains cercles artistiques.

Un exemple de "lolcat" ou "lolspeak": de l'anglais argotique très modifié. Lol = laughing out loud (rire aux éclats) et cat = chat (source de l'image: Wikipédia).

Les sous-groupes sociaux, spécialement ceux qui luttent pour faire entendre leur voix ou faire reconnaître leurs droits, tels que les minorités ethniques, les féministes radicales, la communauté lesbienne-gaie-transsexuelle-bisexuelle, ont généralement besoin créer de nouveaux horizons langagiers, afin de communiquer une réalité que leur leur langue maternelle, jusqu'alors, n'exprimait pas.

Ces nouveautés verbales et stylistiques sont ensuite récupérées et par ceux qui s'y reconnaissent (enfin!), et par ceux que ces nouveaux horizons ont touchés de près ou de loin. Ils passent en suite dans le langage courant, le rendant plus riche, plus précis.

Je travaille depuis un certain temps à traduire en français un auteur américain. Son oeuvre fourmille de néologismes et de nouveaux mots, créés pour la plupart dans un souci artistique mais aussi, je crois, existentiel: ce qui «n'a pas de nom» n'existe pas, demeure caché, n'appartient pas au réel, à la conscience.

Dans le cas du livre qui m'occupe, la plupart de ces «néo-anglicismes» ont leurs racines dans les sous-cultures liées aux drogues et à une certaine frange «marginale» de la culture américaine, et reposent sur des jeux de mots propres à l'anglais parlé dans les milieux universitaires et érudits.

La seule façon de traduire de tels jeux de langage de façon adéquate consiste en la recherche de «jeux» équivalents dans une sphère lexicale de langue française, mais issus des mêmes faits sociaux et objets de discours.

Je me demande, et en tant qu'anthropologue je crois que tu en sais beaucoup plus que moi là-dessus, quand est-ce qu'un idiome, ou un système grammatical donné devient, non plus un code, mais bien un dialecte? Autrement dit, par quel processus une langue donnée «génère»-t-elle un dialecte?

jeudi 11 août 2011

Langues et mélanges

Une des choses que j’adore de l’anthropologie, c’est la possibilité d’aller très loin, dans le très exotique et le très étrange, pour mieux revenir et mieux se voir soi-même. En d’autres mots, comprendre l’Autre et sa culture pour faire la même chose chez moi.

Je vais donc tenter cet exercice aujourd’hui avec le concept de créolisation.

J’en vois déjà à l’arrière se mettre à bâiller. Non non, je vous le jure: c’est très intéressant!

Tout d’abord, qu’est-ce? «Créolisation» a été bâti à partir du mot «créole», qui nous vient de la linguistique. Une langue créole, c’est un mélange entre deux autres langues, soit celle des colonisateurs et celle des colonisés (ou des esclaves et leurs descendants). On retrouvera donc des bases de français, d’anglais, de portugais et de néerlandais (le plus souvent) et… d’autres langues maternelles. C’est ce qui fait que les créoles parlés aux Antilles diffèrent de ceux de l’Océan Indien, même s’ils partagent des éléments francophones.

Panonceau en créole de la Guadaloupe («Ralentissez: enfants au jeu!» – littéralement : «Levez le pied : nos petits mondes jouent là!») (source de l’image : Wikipédia).

On retrouve ici deux idées clés: l’obligation de partager un moyen de communication entre au moins deux groupes ayant des langues différentes (un peu de ceci, un peu de cela, pas trop de complications au départ), et l’incroyable inventivité humaine, qui permet de générer en quelques générations un nouveau dialecte. Ce processus de transformation (principalement linguistique, mais aussi culturel!) a reçu le nom de créolisation.

Vous remarquerez le petit détour international pour expliquer le créole… et on repart dans l’autre sens!

L’histoire du Québec est un exemple de changement linguistique. D’une part, on retrouve une population relativement restreinte coupée de la population mère. Cela signifie, à terme, des différences plus ou moins importantes: on se rappellera que la plupart des Québécois comprennent sans trop de problèmes les Français (en tout cas, les Parisiens), alors que l’inverse n’est pas souvent vrai. Personnellement, j’en ai mal aux joues de me forcer à prendre l’accent. (Oui! les Français ont un accent. Tout le monde en a un, d’ailleurs!)

Armoiries du Québec, avec la devise «Je me souviens» (du passé, de notre colonisation, de nos victoires...) (source de l'image: Wikipédia).

L’autre phénomène important dans la construction du parler québécois a été, bien entendu, la colonisation anglaise subie à partir de 1763. Les Britanniques ont tenté d’assimiler les francophones, mais deux frontières importantes les en ont empêchés : la langue et la religion (catholicisme versus protestantisme). Je résume, c’est certain. Mais le but n’est pas de ressasser ces vieilles querelles.

Enfin, il faudrait tenir compte de l’apport des langues amérindiennes au vocabulaire québécois (par exemple : caribou du micmac, anorak de l’inuit, maringouin du tupi-guarani…). Cependant, ce lexique amérindien est relativement peu important en quantité.

Ce qui nous ramène au québécois (mélange de français de France, d’anglais et de langues amérindiennes). Mais peut-on parler de créolisation? Même si l’exemple du Québec se rapproche de celui de régions colonisées ailleurs, je n’ai jamais vu quelqu’un oser en parler ainsi. Il y a peut-être une sorte de snobisme à épingler les autres d’un terme qui signifie en gros une sorte de bâtardise de la langue (en sous-entendu, ils n’ont pas été capables de conserver leur langue, nous oui; ou encore ils n’ont pas été assez «brillants» pour utiliser la langue de l’envahisseur).

J’aimerais souligner ici l’aspect essentiel en langue (et en culture aussi) : celui de l’évolution. Tous, langue, dialecte, créole, pidgin, idiome, patois, argot, quelle que soit la façon de parler, tous sont condamnés à se transformer. (Attention : évolution ne veut pas dire progrès : j’en reparlerai une autre fois.)

Cela signifie que le québécois a changé (il ne s’agit pas d’une relique ou d’un «fossile vivant»!). Cela signifie que l’habileté intellectuelle des usagers de créoles est à souligner (plutôt qu’à décrier!). Et cela veut dire en général, aussi, qu’aucune langue n’est à l’abri d’emprunts de toute sorte, de mélanges et d’influences.

Le vocabulaire de l’anglais a été enrichi par les nobles qui ne parlaient que français au Moyen Âge. Le français de France lui-même est une forme simplifiée du latin de l’Empire romain.

Faut-il prôner une pureté de la langue? Non. Pas plus qu’une pureté biologique (ou «raciale»: ça me donne des petits boutons rien que de l’écrire, même si je refuse avec la dernière énergie d’y reconnaître la plus petite base de réalité). Pas plus qu’il ne faut souhaiter qu’une société soit statique. C’est une utopie que de penser qu’une langue pourrait rester indépendante de toutes les autres.

Faut-il pour autant penser qu’on peut impunément faire n’importe quoi? Mélanger tout, au risque de ne plus se comprendre? Non plus. Je pense qu’il faut se réapproprier les vocabulaires empruntés. Et c’est ici que l’exemple des créoles me semble le plus enrichissant pour comprendre le Québec : c’est dans la retransformation des mots anglophones que les Québécois s’approprient leur propre langue, et, quelque part, leur identité.

L’usage du français par les Québécois est contesté et critiqué depuis longtemps. On nous accuse de ne plus parler français. (En passant, je serais curieuse de compter le nombre d’anglicismes du français supposément «exemplaire» européen : je pense qu’on y trouverait sensiblement la même quantité de termes anglophones.)

Mais nous ne sommes plus des Français. Nous sommes autre chose. Notre propre invention. Notre propre culture et notre propre peuple. Et sans nier nos racines, cela ne fait pas de nous une bouture à raccrocher à la plante mère.

Le Québec dans le monde (source de l'image: Wikipédia).

J’admire profondément notre lexique de gros mots. «Christ» a donné «crisse», «décrisser», «déconcrisser», «crissement», etc. J’adore ces déclinaisons. Il serait temps de se respecter suffisamment pour reconnaître notre richesse langagière. Et pour se dire que si notre choix a été de rejeter la religion (sauf dans nos grossièretés, ce qui est assez ironique), il nous reste quand même notre parler qui fait de nous une communauté unique.

Librement inspiré de:
BONTE, Pierre et Michel IZARD (2001). Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Paris, PUF, 841 p.
Lien vers la dernière édition:

dimanche 7 août 2011

Pourquoi écrire un blogue?

Une des premières raisons qui me viennent en tête est une conséquence directe du piteux état de l'industrie de l'édition au Québec: il n’y a tout simplement pas de forum pour les intellectuels de notre génération (jeune trentaine et moins) sinon en marge des publications édulcorées qui se prétendent «démocratiques», ce qui revient à dire qu'elles se maintiennent en deçà d'un certain degré de compréhension jugé «trop compliqué» voire élitiste pour le lecteur moyen.

On reproche souvent aux philosophes, comme d'ailleurs aux anthropologues, sociologues, historiens/historiens de l'art de «ne s'entretenir qu'entre eux»; à cela j'ai tendance à répondre que, vu le manque d'intérêt généralisé pour les «idées», c.-à-d. la pensée abstraite, on n’a pas vraiment le choix! Hors des publications spécialisées et/ou académiques, on n’accorde à peu près aucune place à la réflexion telle que «pratiquée» par la philosophie et les sciences humaines.

On a donc le choix entre : a) écrire et publier en anglais, b) envoyer des manuscrits aux éditeurs du Monde diplomatique et consorts (qui se verront refusés 9,9 fois sur 10 pour la simple et pas vraiment bonne raison qu'un comité de rédaction quel qu'il soit va nécessairement préférer publier un auteur déjà connu/reconnu), et c) se publier soi-même.

Selon moi le format «blogue» a plusieurs avantages: aussi peu coûteux à créer qu'à lire, le blogue se «distribue» de lui-même via les engins de recherches et les réseaux sociaux; il n’y a pas de censure (hormis celle que commande un minimum de jugement et de savoir-vivre, et dont j'avoue qu'elle fait souvent défaut, mais bon...), pas d'obligation de «traiter» de certains sujets ou non dans une optique ou une autre (comme dans à peu près tous les organes francophones de presse écrite au Québec, possédés et gérés par des illettrés qui se moquent de tout sauf le profit, interpénétration qui, convergence oblige, rend la pensée critique précisément... non critique!); possibilité d'échanges et de création de «réseautages» qui étaient jusqu'à maintenant réservée qu’aux «journalistes» accrédités.

Segment d'un réseau social: le point blanc représente l'élément ayant le plus de connections (directes ou indirectes) (source de l'image: Wikipédia).

Bien sûr, il existe autant sinon plus de «mauvais blogues» que de mauvais livres, et «l’autopublication» a un gros désavantage: pas de correcteurs. Il faut se faire confiance. Mais c'est un défi qui me plaît, et qui force à réfléchir un peu plus à la façon dont on exprime ce qu'on prend la décision de dire.

Par ailleurs, écrire est un geste/acte incroyablement ingrat: un auteur est seul face à la page, sans le feed-back immédiat que reçoivent un musicien, un danseur ou un comédien. Le fait de mettre en ligne un texte rend possible un échange, médiatisé, d'accord, mais tout de même plus ouvert que l'écriture sur papier ne le permet.

Un écrivain, même publié, n'a pratiquement aucune idée de qui lit son livre, et rares sont les auteurs, en tout cas aujourd'hui, qui n'ont pas aussi un blogue, ne serait-ce que pour communiquer avec leur public.

Schéma représentant la loi de Metcalfe sur le nombre de connections possibles entre des éléments d'un système (= le carré du nombre d'utilisateurs n2 ) (source de l'image: Wikipédia).

Pour ma part, je n'ai pas d'ambitions « littéraires », mais il me plaît de croire que certains sujets valent la peine d'être discutés au-delà du milieu académique. Après tout la réflexion philosophique est née, ne l'oublions pas, sur la place publique, et non dansun amphithéâtre d'université...

vendredi 5 août 2011

Sur les blogues

J’ai toujours adoré les dictionnaires. Entre ceux, archaïques, mis à la disposition dans ma classe à la petite école où je cherchais mon prénom, et les deux classiques que nous possédions à la maison (le Petit Larousse et le Petit Robert, pour ne rien vous cacher), je passais du temps.


Je me perdais dans leurs pages, à rechercher les définitions des mots des définitions. C’est un exercice qui ressemble beaucoup à celui de la navigation sur le web. Où l’on saute d’une idée à l’autre, d’un étonnement à l’autre, d’un monde à d’autres.


Pour écrire sur le blogue, j’ai donc commencé par ouvrir mon dictionnaire (toujours le Petit Robert: je reste fidèle à mes vieilles amours). J’y ai appris une étymologie: ça permet de prendre racine.

De weblog («carnet de bord (log) sur Internet»), on a donc coupé le «we». Ça me donne bien envie de jouer sur les mots, avec le «nous» (we) qui disparaît. Il ne resterait que le «je», que l’individu, qu’une série d’individus qui tentent de communiquer.


Parce que c’est probablement sur cette idée que mon désir d’écrire achoppait. L’impression que, finalement, le contact n’est presque plus possible entre l’auteur et les lecteurs.


Je m’explique: oui, le blogue reste un «outil de communication», au sens où il permet de passer un message. Si on reste dans les schémas très classiques de la communication, le blogue est un canal: un support, ici virtuel, par lequel une personne émettrice transmet de l’information à une autre, réceptrice (cf. Barrette, Gaudet et Lemay, 1996).



Par contre, il y a certains chercheurs (par exemple l’école de Palo Alto) pour qui le message n’existe que s’il y a interaction. Autrement dit, le blogue non lu n’est pas un message. Il ne sert à rien. C’est de l’énergie gaspillée.

À quoi sert-il, alors, d’écrire un nouveau blogue? Pourquoi «encombrer» le web d’un autre ensemble de petits discours? Ironiquement, je pense que plusieurs espèrent se sentir moins seuls: on écrit, au jour le jour, on espère des commentaires des lecteurs, des habitués qui reviendront… Établir un contact avec d’autres, se connecter, se réseauter… Et de chercher la page Facebook, le Twitter et de s’abonner au fil RSS.

En fin de compte, sommes-nous plus en lien avec les autres maintenant qu’il y a Internet? Qui n’a pas ignoré, ne serait-ce qu’un court instant, une personne à ses côtés pour lire un courriel, envoyer un texto, répondre au téléphone?

Je mets toutes ces innovations dans un même ensemble. Celui des choses qui nous permettent de ne pas vivre l’instant présent. D’être absent de l’endroit où nous sommes pour être virtuellement dans un autre (ou même dans plusieurs!). L’ensemble des éléments qui nous coupent les uns des autres. Et qui nous rendent de plus en plus solitaires au milieu de la foule.

Je trouve fascinant ce processus. D’une fascination un peu morbide, je l’avoue. En fait, on pourrait aussi décrire notre faculté à nous isoler comme un phénomène profondément métropolitain (dans le sens de villes principales, et non dans l’acception française colonialiste). Les grandes villes ne permettent pas de connaître les gens que nous côtoyons (sauf exception de contextes locaux, par exemple au travail), tout simplement parce qu’il y a trop de personnes.

Comme l’être humain possède des réseaux sociaux limités (le nombre de Dunbar, établi en 1993, calcule environ 150 personnes en relation stable avec chacun d’entre nous), nous ne pouvons pas établir des rapports intimes ou tout au moins poussés avec tous.

Notons ici que les «amis Facebook» ne sont pas souvent des gens à qui nous confierions les clés de notre résidence…

Le blogue est peut-être moins une occasion de se faire des relations que de laisser une petite trace de nous-mêmes dans des mémoires virtuelles. Et de s’accorder un espace de liberté pour dire quelques opinions (attention! toujours subjectives) afin de mettre de l’ordre dans ses propres idées.

Source mentionnée:
BARRETTE, Christian, Édithe GAUDET et Denyse LEMAY (1996). Guide de communication interculturelle, édition, Saint-Laurent, ERPI, 188 p.