lundi 10 octobre 2011

Bonheurs de lecture (2)

Ces temps-ci, je fais petit à petit mon chemin dans La civilisation chinoise de Marcel Granet (1929). Il a été réédité en 1995, mais j'ai une vieille version jaunie (héhéhé) qui date de 1968.

Ayant fait 2 sessions de chinois (mandarin) à l'université, je me retrouve devant un problème, celui de la translittération des noms chinois.

Pour les non-initiés, c'est une opération à travers laquelle on transpose le son d'une langue dans une autre. Ainsi, pour prendre un exemple relativement simple, le mot "Chine" s'écrit en mandarin simplifié: 中国. Le problème arrive quand on essaie de lire ce mot si on ne parle par mandarin.

On peut alors tenter d'écrire "au son" le mot en question, mais il faut noter que cette façon de l'écrire phonétiquement peut différer énormément si on a un auteur francophone ou anglophone, par exemple. De même, d'un auteur à l'autre (et même s'ils partagent au départ la même langue), la translittération peut changer. Pour garder notre exemple, de 中国 (Chine), Granet (1968: 37) écrit "Tchong kouo", tandis que la méthode de translittération maintenant universellement acceptée (le pinyin), écrira Zhōngguó (les accents marquent notamment la tonalité: comme il y a 5 manières de prononcer une même syllabe, il faut connaître le bon ton à y mettre!).

Je me retrouve donc à lire un texte où je ne reconnais ni les mots que j'ai appris (à moins d'essayer de deviner par recoupements avec les traductions données ou encore de les prononcer à voix haute en tentant de retrouver l'original), ni les noms de personnes ou de lieux que j'ai déjà vus ou entendus ailleurs.

Cette peinture représente un marché tenu lors d'une fête religieuse, autour de 960-1127, lors de la période dite des "Song du Nord" (source de l'image: Wikipédia).

Comme le pinyin n'a été mis en place que vers 1958, il est normal que Granet ne l'utilise pas dans son texte. Par contre, comme il est encore considéré comme un classique sur le sujet de la Chine, ses livres auraient besoin d'un bon dépoussiérage de ce côté (un peu comme les textes en français ancien qu'on traduit pour des lecteurs modernes)...

Je me suis demandée si je n'allais pas ajouter les sinogrammes appropriés et/ou la translittération en pinyin dans ma copie de Granet, mais j'avoue que ça représente un travail un peu trop soutenu (il y en a tellement!!!!). Et ça se conjugue un peu mal avec ma méthode de lecture: couchée dans mon lit.

On verra plus tard. Peut-être, si l'acclamation populaire y est, vais-je essayer de m'y mettre. Pour le moment, parce que j'adore ça, je vous offre le décorticage de 中国.

Carte de la Chine actuelle. Remarquez que certains noms (Beijing, Guangzhou) sont également orthographiés selon la forme "traditionnelle" (Pékin, Canton). À noter que "Pékin" est en cantonais, une des nombreuses langues parlées en Chine (chouette! une source de confusion!). Source de l'image: Wikipédia.


Le premier caractère, 中, se prononce zhōng, ce qui signifie "centre, milieu, juste milieu", "Chine", "dedans, dans", "moitié", "d'accord, correct, orthodoxe" (cf. Sanfaçon, 1997, p. 686). 国, le guó, se rapporte à "pays, nation, état", mais plus précisément à un adjectif qui renvoie à "d'état, chinois" (comme dans un "produit national chinois":国货) (Sanfaçon, 1997, p. 731). Donc, résumons-nous: l'expression "l'empire du milieu" n'a pas été forgée de toutes pièces...

Par contre, toujours sur le 国, il faut voir que le carré qui représente une enceinte, un enclos (Sanfaçon, 1997, p. 730): ce sont les murailles d'une ville, ou les frontières d'un pays. À l'intérieur se trouve le 玉, , le symbole pour le jade (3 pièces de jade enfilées sur un fil, dit l'étymologie de Sanfaçon (1997, p. 355)). On y verrait le pays du jade pour la Chine en forçant très légèrement. Par contre, si on simplifie toujours le signe, on trouvera 王 (on enlève un trait seulement), et on aura wáng, le "roi, prince", le "grand", ou les verbes "régner, gouverner" (Sanfaçon, 1997, p. 344). Le pays est là où se trouve le roi, est un roi entouré de murailles.

Boutons de jade néphrite (à ne pas confondre avec la jadéite des Mayas en Amérique précolombienne!), sculptés à la main. Le "jade" a été plus prisé en Chine que l'or ou l'argent (source de l'image: Wikipédia).

Avec ces informations, vous n'oublierez pas le mot. Moi c'est comme ça que j'arrive à y faire sens.

Sources citées:
GRANET, Marcel (1968). La civilisation chinoise, Paris, Albin Michel, 505 p.

SANFAÇON, Roland et al. (1997). Dictionnaire kuaisu- Chinois - Anglais - Français (avec l'étymologie des caractères), Sainte-Foy (Québec), Les Presses de l'Université Laval, 905 p. (épuisé)

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