mercredi 21 septembre 2011

Bonheurs de lecture (1)

Ces derniers jours, j'ai dévoré Mâle Moyen Âge de Georges Duby. Un classique, m'a-t-on dit.

Georges Duby (1919-1996), un historien français spécialisé dans la période du Moyen Âge (source de l'image: Wikipédia).  

Il faut le reconnaître: on y apprend des tonnes de choses. Entre autres, la place des hommes et des femmes à l'époque.

Dans cette période - pas si ténébreuse que ça, puisque Duby parle d'une "Renaissance" -, les femmes étaient probablement plus éduquées que les hommes (en tout cas, dans les classes supérieures, où elles avaient le temps d'apprendre à lire et à écrire, alors que leurs frères apprenaient à se battre).
Pour écarter les femmes de l'héritage, on les dote (mais attention! que du transportable: des meubles, de l'argent le plus souvent issu de la dot de la mère, des tissus - oubliez les terres et les bâtiments).

Par contre, dans la même logique, on interdit à la plupart des garçons de se marier, les cantonnant dans une situation de "jeunes" pour certains jusqu'à leur mort. Mort dans les tournois, mort dans les croisades, activités guerrières dans lesquelles on peut espérer assez de pertes humaines pour occuper tous ces mâles. Si on ne permet pas une sexualité matrimoniale, il ne faut pas penser pour autant que ces chevaliers restent chastes: il s'agit de relations ancillaires, quand on ne rêve pas à l'amour courtois - séduire la femme du seigneur, mais il serait douteux que cette compétition pour avoir l'attention de la dame ait été si souvent autre chose que platonique.

(source de l'image: Wikipédia).

J'aime bien analyser ce type de négociations, entre les intérêts de l'individu (devenir indépendant, se marier, hériter) et ceux du groupe familial ("caser" les jeunes - hommes et femmes -, marier les femmes pour les retirer de l'héritage, empêcher les hommes de se marier - à l'exception de l'aîné -, éviter que le patrimoine familial ne se fractionne).

Peu de choix, donc, pour les unes comme pour les autres. Il fallait se plier aux exigences des maîtres de la maisonnée, au père et au frère le plus vieux. Pour les hommes, une vie de célibat, soit comme chevalier ou comme ecclésiastique. Pour les femmes, devenir mère, impérativement.

Par contre, dans cette stratégie, on remarque un surplus de femmes par rapport au nombre d'hommes à marier. D'où la possibilité, pour la noblesse, de se marier à une femme d'un milieu plus élevé que le sien - ce qu'on nomme hypogamie en anthropologie. D'où, aussi, la fierté des hommes à décliner leur généalogie par la mère, plus prestigieuse.

Cette caractéristique démographique et matrimoniale me mène à formuler l'hypothèse selon laquelle ce serait cette situation qui aurait permis à nos sociétés occidentales de devenir d'abord bilinéaire (on tient compte des ascendances paternelle et maternelle, mais pour des raisons différentes - par exemple, les filles héritent de leur mère et les fils de leur père), puis bilatérale (les deux lignées ont autant d'importance l'une que l'autre).

On se retrouve donc dans la situation actuelle, au bout d'une longue évolution, où les mères veulent donner leur nom de famille autant que les pères (d'où un nom double, à la manière espagnole, et dans une génération Y au Québec). Cependant, cette mode pourrait être de courte durée: on la retrouve déjà moins souvent, puisque, dans la génération suivante, il faut donner 4 noms (!) ou choisir un des 2 noms pour chaque parent (lequel? celui du grand-père paternel ou maternel?)... Et il s'agit bien, encore, de noms transmis par une lignée masculine...

Pour l'héritage, cela me semble plus compliqué: j'ai l'impression que ma mère va me transmettre ses bijoux (qu'en ferait mon frère???), mais il y a aussi la fille de mon frère, ma nièce donc, qui pourrait se retrouver sur le testament. Il n'y a pas encore de tradition bien établie, les changements s'étant produits rapidement (sur 2 ou 3 générations): on ne sait pas encore si les choix seront individuels ou généralisés en la matière.

Sources:
DUBY, Georges (2010 (1983-1988)). Mâle Moyen Âge, Paris, Flammarion, 270 p.

RIVIÈRE, Claude (1995). Introduction à l'anthropologie, Paris, Hachette Supérieur, 158 p. (épuisé)

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