mardi 16 août 2011

Les mots et le sens

«Créolisation»: le terme à lui seul est assez fascinant. Je ne crois pas qu'il y ait un équivalent en anglais, mais le s'y concept s'applique très bien - je crois qu'on pourrait même dire que la langue anglaise s'est plus ou moins «construite» de cette façon, tout en néologismes, incorporant des mots aux autres langues, incorporant des nuances d'influences diverses.

Je me souviens avoir lu quelque part que Shakespeare, par exemple, inventait constamment de nouveaux mots, à partir de termes provenant du français, de l'italien, ou simplement du parler vernaculaire de son temps, termes qui sont depuis utilisés couramment et font partie du «lexique officiel» depuis maintenant des lustres.

William Shakespeare, le grand dramaturge (et "inventeur" de l'anglais) (source de l'image: Wikipédia).

Le procédé est universel - et on le retrouve aujourd'hui partout. Les sous et contre-cultures, qu'elles soient littéraires, musicales, ou artistiques, la mode, les mouvements sociaux et politiques (entre autres) génèrent de nouvelles formes de langages (patois, dialectes, expressions, références et contre-références), qui sont rapidement adoptées par une minorité faisant office de «code», par exemple le «street swag» dans la culture hip-hop, le «lolspeak» dans la cyberculture, ou les termes techniques propres à certains cercles artistiques.

Un exemple de "lolcat" ou "lolspeak": de l'anglais argotique très modifié. Lol = laughing out loud (rire aux éclats) et cat = chat (source de l'image: Wikipédia).

Les sous-groupes sociaux, spécialement ceux qui luttent pour faire entendre leur voix ou faire reconnaître leurs droits, tels que les minorités ethniques, les féministes radicales, la communauté lesbienne-gaie-transsexuelle-bisexuelle, ont généralement besoin créer de nouveaux horizons langagiers, afin de communiquer une réalité que leur leur langue maternelle, jusqu'alors, n'exprimait pas.

Ces nouveautés verbales et stylistiques sont ensuite récupérées et par ceux qui s'y reconnaissent (enfin!), et par ceux que ces nouveaux horizons ont touchés de près ou de loin. Ils passent en suite dans le langage courant, le rendant plus riche, plus précis.

Je travaille depuis un certain temps à traduire en français un auteur américain. Son oeuvre fourmille de néologismes et de nouveaux mots, créés pour la plupart dans un souci artistique mais aussi, je crois, existentiel: ce qui «n'a pas de nom» n'existe pas, demeure caché, n'appartient pas au réel, à la conscience.

Dans le cas du livre qui m'occupe, la plupart de ces «néo-anglicismes» ont leurs racines dans les sous-cultures liées aux drogues et à une certaine frange «marginale» de la culture américaine, et reposent sur des jeux de mots propres à l'anglais parlé dans les milieux universitaires et érudits.

La seule façon de traduire de tels jeux de langage de façon adéquate consiste en la recherche de «jeux» équivalents dans une sphère lexicale de langue française, mais issus des mêmes faits sociaux et objets de discours.

Je me demande, et en tant qu'anthropologue je crois que tu en sais beaucoup plus que moi là-dessus, quand est-ce qu'un idiome, ou un système grammatical donné devient, non plus un code, mais bien un dialecte? Autrement dit, par quel processus une langue donnée «génère»-t-elle un dialecte?

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